mardi 23 mars 2021

Louise Michel, communarde et activiste anarchiste

par Dolors Marín le 22 mars 2021


traduction Monica Jornet Groupe Gaston Couté FA

On commémore cette année le 150° anniversaire des événements de la Commune de Paris, une expérience historique exceptionnelle puisque le peuple parisien prit la ville devant la fuite de ses dirigeants à Versailles et face à la menace d’occupation par l’armée prussienne. On assista dans ce contexte à un phénomène d’autogestion sans précédents, et hommes et femmes s’apprêtèrent à transformer la société à partir de pratiques antiautoritaires, intégratrices et égalitaires. Les femmes, les premières à se jeter contre les canons, que l’on prétendait démobilisés par les versaillais, s’illustrèrent dans tout ce processus. À la fin, la répression fut terrible, on payait cher de s’auto-organiser et de vivre en marge de l’autorité. Et les femmes furent aussi accusées d’incendiaires, les fameuses pétroleuses, et de provoquer la destruction d’édifices et de biens. Beaucoup furent fusillées, d’autres déportées et d’autres emprisonnées. Nous nous intéressons parmi elles à Louise Michel qui devait embrasser les idées anarchistes pendant sa dure déportation dans les terres de Nouvelle-Calédonie, sous l’influence d’une autre femme, Nathalie Lemel, une autre communarde également déportée, l’une de ses grandes amies. Après une année de prison et presque dix de déportation, elle resta sur la brèche, pour lutter et défendre ses idées.

LOUISE MICHEL: INSTITUTRICE ET ÉCRIVAINE

Louise Michel, méconnue dans l’imaginaire activiste du XXI siècle, à notre grand regret, est l’une des grandes références de l’anarchaféminisme mondial. Cette femme menue et en apparence fragile, à la silhouette gracile, s’insurgea contre toutes les adversités et toutes les tyrannies de son temps. Elle lutta comme peu suscitant l’étonnement de ses contemporains et d générations d’activistes libertaires du XX siècle. Elle fut très célèbre en son temps, une bonne partie de la presse généraliste la montre impliquée dans des arrestations, des révoltes, des assauts à des magasins alimentaires, ou au cours de grands procès contre l’organisation anarchiste naissante.

Louise Michel est née el 29 mai 1830 à Vroncourt-la-Côte (Haute-Marne) et après une vie digne d’un roman, d’engagement dans des révoltes sociales et dans des projets éducatifs et vitaux, elle mourut à Marseille, le 9 janvier 1905.

Louise Michel, était la fille d’une activiste sociale, Marie-Anne Michel, qui était employée comme domestique d’un grand propriétaire terrien. C’est pourquoi elle porta le nom de sa mère et on peut avoir raisonnablement des doutes sur l’identité de son véritable géniteur (entre un père, Étienne C. Demahis, ou son fils). Elle fut cependant prise en charge et éduquée par ses grands-parents paternels, des républicains et rationalistes convaincus. Un profil hors du commun car bien diffèrent de celui des enfants naturels des domestiques de son époque, élevées dans l’analphabétisme.


Elle apprit à lire et à écrire et la lecture devint sa grande passion. Les idées de l’encyclopédie firent le reste, et l’enseignement devint sa grande vocation, car c’était la porte d’entrée dans un monde libre et rationaliste. Elle se découvrit bientôt l’amour de l’écriture, un désir d’être poétesse et narratrice des histoires de son temps qu’elle conservera toute sa vie et qui nous apporte une information de qualité sur son autobiographie et ses expériences qu’elle coucha en plusieurs ouvrages et articles qui furent peu à peu repris dans la presse ouvrière de son temps, et qui devaient parvenir jusqu’à nos journaux grâce aux maisons d’éditions anarchistes et aux traductions, Anselmo Lorenzo ou Fermin Salvochea pour ce qui est de l’Espagne.

Et sur le chemin de l’enseignement elle fit des études pour être institutrice. Son rêve sembla se réaliser à l’âge de 20 ans, mais au moment de prêter serment à Napoléon III, elle s’y refusa, et ne put de ce fait avoir le diplôme requis, condamnée à travailler dans des projets éducatifs alternatifs à l’enseignement officiel, et subsistant à peine avec de maigres salaires dépendant de la bonne volonté des parents de ses élèves. Elle ouvrit ses propres écoles entre 1852 y 1855 dans des petites localités (Audeloncourt, Clefmont, Millières) de son département, et elle employa le maigre pécule hérité de la fortune familiale, pour faire son chemin. Elle joua de malchance car son rationalisme et ses idées égalitaires lui causèrent des problèmes avec les parents d’élèves, très traditionnels. Elle décida donc de partir pour la grande ville : Paris. Elle envisageait déjà à cette époque l’enseignement mixte et aussi l’usage du théâtre à l’école. Ses idées novatrices, sans récompenses ni châtiments, reléguaient la mémorisation à un second plan, privilégiaient le travail pratique et la connaissance des sciences naturelles ainsi que les voyages scolaires.

Paris se révélait comme la porte ouverte à l’écriture et à la poésie, à la possibilité de la vie bohême et de fréquenter des gens de lettres et des maisons d’éditions, et effectivement c’est là qu’elle noua une grande amitié avec l’homme qu’elle admirait, le grand écrivain Victor Hugo. Ils correspondaient depuis 1850, alors qu’elle vivait encore à la campagne, et ils continuèrent à s’écrire jusqu’en 1879.
Depuis 1856 jusqu’aux événements de la Commune, (1871) Louise Michel travailla sans relâche comme professeure, pendant 15 ans dans son école (24 rue Houdon puis rue Oudot). Elle écrivait toute la nuit, fréquentait les cafés et écoutait des histoires à noter dans ses cahiers. Ses premiers poèmes voient le jour au cours de ces années-là, signés sous un pseudonyme masculin, puisqu’elle connaît la misogynie de ses contemporains, qui n’acceptent pas les écrits des femmes. Elle signe donc Enjolras, l’éphèbe et martyr républicain des Misérables de Victor Hugo. Au cours des nuits parisiennes, dans les milieux de l’activisme révolutionnaire et les cercles insurrectionnels de Blanqui, elle fit la connaissance d’Eugène Varlin, Raoul Rigault et Emile Eudes. Sa personnalité captiva le populaire éditeur du Cri du Peuple, Jules Vallès, qui l’invita à y contribuer par ses écrits. Elle connut bientôt son compagnon avec lequel elle vécut en union libre en 1870, Théophile Ferré, l’un des fusillés du 28 novembre 1871, pour sa participation à La Commune de Paris.

Au sein des cercles blanquistes, Louise participait à toutes les contestations dans la rue, elle expliquait elle-même comment elle avait assisté le 12 janvier (1870) à l’enterrement du journaliste républicain assassiné, Victor Noir. Elle avait revêtu un habit masculin pour ne pas attirer l’attention et avait un revolver en poche face au risque d’affrontements armé. En août, elle participa à la grande manifestation en faveur d’Eudes et de Brideau, arrêtés injustement et remit un écrit de Jules Michelet aux autorités. En octobre, elle lança des proclamations aux infirmières et "aux citoyens de la libre pensée" pour défendre la ville des Prussiens, co-fonda le comité de vigilance de Montmartre et participa à une grande manifestation en fin de mois en faveur de la Commune. Deux mois plus tard, elle fut arrêtée pour la première fois pour avoir participé à une manifestation de femmes.

LOUISE MICHEL ET LA COMMUNE DE PARIS : DES FEMMES SUR LES BARRICADES




Sa biographie prend un tour décisif à partir de sa participation à la Commune. Dès lors l’institutrice et activiste devient le phare des libertaires de toutes les époques, puisque depuis le premier jour, tout comme sa mère, elle monte sur les barricades de Paris. En janvier 1871, Louise Michel tira sur les troupes du général Trochu. Elle faisait partie de la foule organisée et armée qui défendait la mairie de Pars contre l’armée d’invasion et les Versaillais. Habillée en garde nationale, elle devint une icône féministe, au moment où la Commune en était à ses débuts.

La situation en France était terrible : Napoléon III avait été vaincu par les Prussiens et se préparait pour la marche triomphale sur la capitale. Les Parisiens empêchèrent la reddition de la ville, ils ne voulaient pas la voir humiliée. Ils s’organisèrent donc par quartiers et bien vite se levèrent les premières barricades, comme celles de 1848 dont on était nostalgique. Les internationalistes sortirent dans les rues, les républicains, les blanquistes, une infinité de prolétaires urbains, des femmes, des sans-emploi etc. Parmi les internationalistes, nous distinguons Elisabeth Dmitrief qui, depuis l’Union des Femmes pour la Défense de Paris, fut l’une des premières à prendre les armes et appeler à l’auto organisation féminine. Des assemblées et des colloques furent organisés, des boulangeries et des tavernes s’auto-organisèrent pour pouvoir nourrir la population. Lee travail des femmes en tant qu’infirmières et ambulancières les amena aux barricades où elles reprenaient les armes de ceux qui étaient tombés et elles-mêmes rejoignaient la défense de la ville.

Au cours de ces mois très denses à l’activité fébrile, la population s’organisait à travers le dialogue et l’assemblée permanente, consciente de sa propre force.

Les noms des communardes oubliés par l’histoire méritent d’être relevés : Paule Minck, Nathalie Lemel, Aline Jacquier, Blanche Lefèvre, Marceline Leloup, et la courageuse André Léo qui nous livra ses impressions sur ces soixante jours à peine de lutte insurrectionnelle qui ébranlèrent le monde.

Dolors Marín est une historienne anarchiste.


 

lundi 8 février 2021

François Ruffin, autoritaire comme les autres

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En tant qu’anarchistes, nous n’avions que peu de doute sur la teneur idéologique de François Ruffin. Après tout, nous avons déjà connu les Chevènement et autres, qui nous vendaient que le patriotisme de gauche pouvait exister et qu’il ne pouvait pas être comparé à celui de droite. Pourtant, il suffit de mettre en parallèle les dires de Ruffin sur les frontières (et leur besoin d’être fermées même aux humains), sur la production (France first … pardon la France d’abord), sur la gestion des outils de production (nationalisation pour un contrôle des salariés par L’État, ça les changera des PDG, mais surtout pas d’autonomie) avec ceux des tenants de lignes bien loin de ce qu’on appelle « gauche », pour comprendre que sa gauche part à droite à toute vitesse.

Mais là, il décide de s’en prendre frontalement aux anarchistes.

Nous avons lu que c’était peut-être une erreur. En donneur de leçon permanent, moult fois Ruffin affirme avoir une connaissance accrue de l’histoire des luttes… Donc disons-le, nous ne croyons pas à l’erreur.

Avouons que nous étions habitués à voir les trotskistes faire mine de confondre l’autoritarisme capitaliste avec un anarchisme. C’est de bonne guerre et ils ne vont quand même pas dédire le maître à penser Trotski qui a fait massacrer les anarchistes à Kronstadt. Faut bien entretenir le mythe de la « révolution sauvée » quand en fait s’installait simplement le carcan de l’État centralisateur et dictatorial soviétique, terminé par cet acte. Et que dire des fans de la République qui nous expliquent que les Versaillais n’avaient pas trop le choix face aux Communardes et Communards, pas d’autres choix que de les massacrer, tout en continuant à nommer des rues au nom du bourreau Thiers pour enterrer, faire oublier, ce moment de l’histoire.

Ruffin, lui, balance donc que « nous avons des anarchistes à la tête de l’État » dans une vidéo publiée par le site « Le vent se lève ». Nous pourrions croire à un abus de langage, comme le disent ses soutiens, s’il n’était pas répété plusieurs fois dans la vidéo.




Non ce n’est pas un abus de langage, c’est l’éternel jeu des autoritaires de gauche de vouloir laisser entendre que libéral = libertaire et donc que capitalisme = anarchisme … La ficelle est grosse mais elle est répétée jusqu’à la nausée depuis des décennies.
Pourtant l’anarchisme lutte contre la chose qui pourrit le monde : le pouvoir sous toutes ses formes.

L’anarchie a été le moteur de l’émergence du syndicalisme de lutte dans les entreprises, pour la reprise en main par les travailleuses et travailleurs eux-mêmes des outils de productions. L’anarchie est le moteur des émancipations par le fait de reconnaître à l’individu sa pleine souveraineté sur lui-même. L’anarchie est le moteur du vivre ensemble en refusant ce qui sépare arbitrairement l’humanité. L’anarchie démontre que la domination du plus grand nombre n’est pas obligatoire en utilisant le consensus et en refusant le vote comme outil de décision. L’anarchie préférera toujours le fédéralisme autogestionnaire au centralisme mortifère d’un État inconséquent.

L’anarchie lutte pour la destruction du travail, du salariat, de l’État, des religions, du patriarcat et de tout ce qui oppresse et avilit.

Alors pourquoi Ruffin a-t-il peur des anarchistes ? Parce qu’il se voit en bon père du peuple prêt à le guider, à l’élever, selon ses normes. Parce que, comme tous les autoritaires qui n’ont que le mot « peuple » à la bouche, il a le mépris de l’humanité chevillé au corps pensant que sans leader comme lui, point de salut, les humains étant trop bêtes pour s’organiser dans l’autogestion généralisée évidemment. Parce qu’il aime le pouvoir, que les petits fours de l’Assemblée sont quand même sympas et qu’il aimerait sans doute goûter ceux de l’Élysée ou de Matignon.
Nous autres, anarchistes, osons rêver plus loin que ce pisse-froid autoritaire qui ne nous propose que de substituer la domination des multinationales par celle d’un État soi-disant plus « sympa », alors que l’Histoire est là pour nous rappeler à quel point cette idée tue l’émancipation et au-delà de ça, et à quel point État et Capitalisme sont liés jusqu’à en crever.
Avec cette sortie, Ruffin sait pertinemment ce qu’il fait. Il rappelle que la voie, pour lui, c’est le capitalisme « encadré » comme il le dit dans une interview*, l’État fort et l’individu aux ordres pour faire peuple. Par cette sortie, Ruffin nous rappelle qu’il ne vise en rien l’émancipation du plus grand nombre, mais le maintien du pouvoir dans les mains de quelques personnes.
Par cette sortie, Ruffin nous rappelle qu’il n’est pas l’allié des anarchistes, et qu’il se place même en ennemi de l’idée d’Anarchie.
Grand bien lui fasse. Nous avons l’habitude de trouver face à nous tous les autoritaires du monde. Cela ne fait qu’un de plus. Et avouons-le, il n’est pas des plus impressionnants.
Nous sommes désolé.e.s, pensez donc, que François Ruffin soit autant effrayé par l’idée de voir disparaître son gagne-pain de planqué de la République et son existence politicienne.
Mais un jour la Commune se réveillera, les opprimées et opprimés s’uniront. Et nous savons bien que Ruffin ne sera pas de ceux qui soutiendront la mort de sa chère République...
La route est longue pour la révolution, mais nous n’arrêterons pas d’avancer.

Des anarchistes organisé.e.s au sein de la Fédération anarchiste

*https://www.revolutionpermanente.fr/Debat-avec-Francois-Ruffin-Front-populaire-ecologique-ou-parti-revolutionnaire-17773

Ce que cela signifie c’est que François Ruffin ne compte pas remettre en cause profondément le système capitaliste. Plus encore, il affirme même ne pas bien savoir « ce que le mot « capitalisme » recouvre précisément » avant de donner sa vision : « s’il s’agit de dire qu’il faut aller vers le recul des multinationales ou que la finance doit être mise au service de la société, je suis d’accord. Mais je ne suis pas contre la propriété privée par principe. En fait, je suis réformiste », précise-t-il. « Je suis pour encadrer le marché, pas pour une élimination de la propriété privée. Je ne suis même pas pour une élimination de la concurrence », termine-t-il.