Antisionisme, antisémitisme ? Un point de vue.
A
l’heure où le président de la République déclare : " L’antisionisme est
l’une des formes modernes de l’antisémitisme. Derrière la négation de
l’existence d’Israël, se cache la haine des juifs", déclaration mettant
au banc des accusés d’antisémitisme nombre de militants ne souhaitant
rien d’autre que le respect des résolutions onusiennes vis à vis de la
Palestine, déclaration intervenant faisant suite à l’utilisation du mot
"sioniste" comme insulte par des antisémites ; à l’heure donc où
l’amalgame est de plus en plus répandu entre antisionisme et
antisémitisme, nous souhaitons donner la parole à Pierre Stambul de
L’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) sur cette question de
l’antisionisme. Texte fortement dissonant par rapport aux textes parus
dans le Monde libertaire, le débat est ouvert, prochainement un article
de Pierre Sommermeyer : "Juifs, Peuple, État, des questions ?"...
Antisémitisme, antisionisme.
La confusion entretenue.
Les origines des Juifs, mythes et réalités.
La Bible n’est pas un livre d’histoire. L’avancée des découvertes
archéologiques et des travaux historiques a permis d’aboutir aux
connaissances suivantes : les Hébreux ne sont pas arrivés de
Mésopotamie. Ils ne sont ni entrés ni sortis d’Égypte. Les épisodes
d’Abraham et Moïse sont largement légendaires.
La conquête sanglante de Canaan par Josué, épisode sur lequel se fondent
les colons de Cisjordanie pour justifier l’occupation et le nettoyage
ethnique actuels, est légendaire. Les Hébreux sont un peuple autochtone,
ils ne se sont pas conquis eux-mêmes.
Dans l’Antiquité, plusieurs peuples, plusieurs religions et plusieurs
langues ont cohabité dans cette région. L’existence du royaume unifié
est plus qu’incertaine. À l’époque présumée de Salomon et David,
Jérusalem était un petit village de l’Âge de fer. Les deux premiers
royaumes dont l’existence est attestée sont le royaume d’Israël, détruit
en 720 av. J.-C. par les Assyriens et le royaume de Juda détruit par
les Babyloniens en 586 av. J.-C. avec destruction du Temple et exode des
« élites » à Babylone. Beaucoup d’historiens pensent que la Bible
hébraïque a été essentiellement écrite pendant les 50 ans d’exil à
Babylone.
La région sera plus tard soumise aux Perses, aux Grecs et aux Romains.
Dès cette époque, la religion juive se diffuse dans de nombreuses
régions.
L’exil des Juifs, après la destruction du deuxième temple de Jérusalem
par l’empereur romain Titus en 70 apr. J.-C. (qui est à la base de la
théorie sioniste de l’exil et du retour) n’est attesté par aucun
témoignage ou chronique. La religion juive, pendant les premiers siècles
de l’ère chrétienne a été prosélyte. On trouve à cette époque des
communautés juives dans tout l’empire romain, mais ce sont
essentiellement des convertis.
Après la chute de l’empire romain, il y aura deux grandes vagues de
conversion au judaïsme. Celle de plusieurs tribus berbères au Maghreb et
celle de l’empire Khazar, empire turco slave entre Mer Caspienne et Mer
Noire entre le 8e et le 10e siècle apr. J.-C . On doit donc considérer
que les Juifs sont majoritairement descendants de convertis de
différentes époques et différentes régions. Et que les descendants des
Juifs de l’Antiquité sont essentiellement ceux qui n’ont pas bougé, les
Palestiniens. Des peuples juifs vont se former (les peuples yiddish,
séfarade, judéo-berbère, judéo-yéménite …) mais il ne semble pas
pertinent de parler d’un peuple juif unique.
De l’antijudaïsme chrétien à l’antisémitisme racial
Dans l’empire romain, plusieurs religions ont été en concurrence : culte
d’Isis, culte de Mithra, judaïsme, christianisme (qui est au départ une
dissidence du judaïsme), arianisme (qui est une dissidence du
christianisme). Quand le christianisme l’emporte au 4e siècle ap JC, il
s’en prend aux Juifs. Ceux-ci sont accusés d’être le peuple déicide, de
commettre des crimes rituels, de vouloir dominer le monde. De nombreux
métiers leur sont interdits, et surtout ils n’ont pas droit à posséder
la terre. Ils sont enfermés dans des quartiers qui prendront plus tard
les noms de juderia ou de ghetto. Dans les royaumes chrétiens, on va
souvent leur confier les métiers interdits aux Chrétiens : la banque et
l’usure. S’il y a eu quelques moments calmes dans l’histoire des Juifs
européens, cette histoire est marquée par de nombreuses expulsions, des
spoliations, des massacres (qui prendront plus tard le nom de pogroms)
et l’expulsion d’Espagne (1492). L’inquisition pourchassera même les
marranes, ces Chrétiens descendants de Juifs convertis (de force),
inventant là la notion de « race » juive.
Et dans le monde musulman ? On trouve dans le Coran des passages
contradictoires sur les Juifs. Mais ceux-ci ont bénéficié du statut de
dhimmi (= protégé) avec d’autres « religions du livre » (chrétiens,
zoroastriens). Ils n’ont pas eu la citoyenneté qui n’existait nulle
part, ils payaient l’impôt à la différence des musulmans, mais ils n’ont
jamais subi de massacres ou d’expulsions comme en Europe.
L’émancipation des Juifs européens commence en Allemagne, puis en France
dès le 18 e siècle. Petit à petit, les Juifs sortent du ghetto. Ils
acquièrent en France la citoyenneté. Les Juifs deviennent alors une
minorité invisible, obstacle à la construction d’États ethniquement purs
sur les ruines des empires déclinants. Vers 1850, plusieurs «
théoriciens » (Gobineau, Chamberlain, Marr …) inventent les concepts de
races aryenne et sémite. Cette époque voit aussi le développement des
idées eugénistes. Et c’est le début d’un colonialisme triomphant qui
répand l’idée, pour se justifier, que des peuples développés apportent
la civilisation à des populations arriérées.
Le mot « antisémite » est une invention de l’ennemi (Willem Marr) mais
il s’imposera alors qu’il n’y a pas de race sémite et que les Juifs ne
sont pas les descendants des Judéens de l’Antiquité.
La plupart des dirigeants européens seront gagnés par cet antisémitisme.
Les stéréotypes de l’antijudaïsme chrétien demeurent, mais s’y ajoute
le fait que les Juifs comploteraient pour dominer le monde (voir le
Protocole des Sages de Sion, faux fabriqué par la police tsariste).
La situation des Juifs européens à la fin du 19 e siècle.
La majorité des Juifs du monde entier vit à cette époque dans un seul
pays : l’empire russe. Cet empire compte 135 millions d’habitants au
recensement de 1881 dont 6 millions de Juifs. Dans la « zone de
résidence » (Pologne, Ukraine, pays Baltes …), ils forment 10% de la
population. Les Juifs de cet empire sont massivement des prolétaires,
ouvriers, colporteurs, artisans et ils vivent dans la misère.
Pour empêcher la montée des idées révolutionnaires, le régime tsariste
va mener une politique antisémite ouverte et organiser des pogroms. Ces
persécutions provoqueront une émigration massive vers l’Europe
Occidentale et surtout vers l’Amérique (États-Unis, Argentine…). Face
aux persécutions et à la misère, de nombreux Juifs abandonnent la
religion et se rallient à des mouvements révolutionnaires. On trouvera
des Juifs en nombre dans tous les courants (Bolcheviks, Mencheviks,
Socialistes Révolutionnaires, Anarchistes …). Il y aura même un parti
révolutionnaire juif, le Bund, revendiquant l’autonomie culturelle sur
place dans le cadre de la révolution. Ces Juifs pensaient que leur
émancipation, comme minorité opprimée, passait par l’émancipation de
toute l’humanité.
Les Juifs religieux « haredim » (orthodoxes) prônent la soumission aux
autorités. Mais ils refuseront très majoritairement le sionisme pour des
raisons religieuses. Pour eux, il est interdit de retourner en terre
sainte avant l’arrivée du Messie.
En Europe Centrale et Occidentale, la situation sociale des Juifs est
meilleure. La grande majorité des Juifs voudraient s’intégrer, mais il y
a contre eux toute une série d’interdits sociaux ou professionnels.
Pour les antisémites selon les mots d’Hannah Arendt, les Juifs sont des
parias asiatiques inassimilables.
Les caractéristiques de l’idéologie sioniste
Il y a eu, dès le 17 e siècle, un sionisme chrétien dans le monde
protestant anglo-saxon. Pour ces religieux, le retour des Juifs en terre
sainte favoriserait le retour du Christ. Pour ces millénaristes, les
Juifs devraient alors se convertir à la vraie foi, sous peine de
disparition.
Le sionisme juif apparaît à la fin du 19 e siècle avec la parution du
livre « L’État des Juifs » de Theodor Herzl, un bourgeois de l’empire
austro-hongrois. Les sionistes considèrent que l’antisémitisme est
inéluctable et qu’il est vain de vouloir le combattre. Le sionisme, dès
le départ, est une théorie de la séparation qui affirme que Juifs et non
Juifs ne peuvent pas vivre ensemble, ni dans le pays d’origine, ni dans
le futur État juif. Du vivant même d’Herzl, sionistes et antisémites
partagent le même but : qu’un maximum de Juifs quittent l’Europe. Cette
idée sera violemment combattue, tant par les Juifs laïques que par les
religieux.
Les sionistes imitent les nationalismes européens, ceux qui mèneront aux
boucheries des deux guerres mondiales, en revendiquant le slogan
simpliste et meurtrier « un peuple = un État ». Mais ce nationalisme est
très particulier puisqu’il invente le peuple, la langue (les Juifs
d’Europe orientale parlaient yiddish, il y avait d’autres langues
juives, ladino, judéo-arabe. L’hébreu était réservé à un usage
religieux) et la terre.
Le sionisme va s’appuyer sur les dirigeants antisémites de l’Europe et
sur les grandes puissance coloniales pour entreprendre une conquête
coloniale de la Palestine. Il s’agit là d’un colonialisme particulier
qui ne vise pas à asservir le peuple colonisé, mais à le remplacer et à
l’expulser. Les premiers colons sionistes vont acheter des terres à des
féodaux absents pour expulser les métayers présents.
Le sionisme va entreprendre une gigantesque manipulation de l’histoire,
de la mémoire et des identités juives en affirmant qu’après 2 000 ans
d’exil, les Juifs font leur retour dans leur patrie. Les premiers
dirigeants sionistes étaient agnostiques (comme Herzl) ou athées (comme
Ben Gourion). Ils ont utilisé la Bible comme un livre de conquête
coloniale. La blague qui se raconte à leur sujet, c’est « Dieu n’existe
pas, mais il a donné cette terre au peuple juif ».
Le sionisme a été dès le départ négationniste sur l’existence, les
droits et la dignité des Palestiniens. Ce mot était proscrit (on parlait
des Arabes) et la Palestine était forcément « une terre sans peuple
pour un peuple sans terre » pour reprendre les mots d’Israël Zangwill.
C’est un dirigeant antisémite, Balfour, un chrétien sioniste, qui va
leur donner la Palestine avant même que la Grande Bretagne ne l’ait
conquise (1917). Il n’y a pas de contradiction entre le Balfour
dénonçant les Juifs polonais venus prôner la révolution à Londres et le
sioniste. Pour lui, les Juifs en émigrant devenaient des colons
européens en Asie.
La construction d’une société séparée
On croit souvent à tort qu’Israël est une réparation après le génocide
nazi. C’est oublier que l’ensemble des institutions du futur État
d’Israël, qui ont expulsé le peuple palestinien de son propre pays, ont
été créées des décennies avant le génocide. La Banque Coloniale Juive
date de 1898. Le Fonds National Juif, celui qui plante des arbres là où
il y avait un village palestinien, date de 1901. Le syndicat Histadrout,
fondé en 1920 a pour article n°1 de ses statuts la « défense du travail
juif ». Sa première action, dès sa création, fut de lancer une grève
sur le thème « boycottez les magasins arabes, achetez juif ». Déjà
l’idée de la séparation. La Histadrout a fondé la compagnie de travaux
publics Solel Boneh (qui construira plus tard les colonies), la
compagnie de navigation Zim, la banque Hapoalim, la compagnie de bus
Egged, les caisses de sécurité sociale (qui doivent des millions de
shekels aux Palestiniens licenciés), la compagnie des eaux Mekorot (qui
vole aujourd’hui l’eau aux Palestiniens) et même la Haganah, ancêtre de
Tsahal. Le colonisateur britannique donnera à ces institutions et à
l’Agence Juive le droit de quasiment tout gérer : l’éducation, la poste,
la santé, les transports.
Les kibboutz, souvent cités comme exemple de socialisme, étaient
interdits aux Palestiniens. La colonisation individuelle étant
impossible, ils ont été essentiellement un instrument de conquête, y
compris militaire. Ils ont été installés aux frontières, en Galilée où
vivaient beaucoup de Palestiniens et en bordure du désert du Neguev.
Aujourd’hui les cantines des kibboutz ont été privatisées, ils sont
côtés en bourse et l’activité principale bien souvent n’est plus
l’agriculture mais la fabrication de matériel militaire.
Le mouvement sioniste s’est divisé à partir de 1920. La majorité était
plutôt social-démocrate. L’autre courant (qui a pris le nom de
révisionniste) a été fondé par Vladimir Jabotinsky. Celui-ci a été, dès
le départ, un admirateur du fascisme italien et c’est à Civitavecchia
que se trouvait la radio des révisionnistes.
Les Palestiniens se sont révoltés à plusieurs reprises (1920, 1929 et
1936-39) en constatant que la colonisation sioniste avait pour but de
les expulser. La Haganah et l’armée britannique les ont réprimés
ensemble. La répression de 1936 fera 12 000 morts. Dès les années 1930,
il y a un consensus dans les élites sionistes, tous courants confondus,
sur le concept de « transfert », c’est-à-dire l’expulsion des
Palestiniens au-delà du Jourdain.
Beaucoup de Juifs sont arrivés en Palestine parce qu’ils ne savaient pas
où aller. Il convient de distinguer la population juive de l’idéologie
sioniste. En 1944, il y a des élections syndicales dans le « Yichouv »,
c’est-à-dire dans la population juive de la Palestine mandataire. 45 %
se prononcent pour un État binational. Mais l’idéologie sioniste avait
prémédité de longue date l’expulsion des Palestiniens et ce courant pour
le « vivre ensemble » disparaîtra aux premiers coups de feu de la
guerre de 1948.
En Europe, le sionisme est resté minoritaire chez les Juifs jusqu’au
déclenchement de la guerre, comme en témoignent les élections en Pologne
et dans les pays Baltes où le Bund était en tête dans les zones à forte
population juive. Pour le Bund, le sionisme, c’était le parti de la
bourgeoisie.
Le génocide nazi
Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, les Juifs du monde entier se
mobilisent contre le nazisme. Ils seront nombreux à s’engager pendant la
guerre d’Espagne. Pourtant en 1933, les sionistes signent avec les
autorités nazies les accords de Haavara (= transfert) qui permettent aux
Juifs allemands de partir en Palestine avec leurs biens. Il y a des
contreparties : qu’il n’y ait aucun boycott de l’Allemagne et que le
Yichouv consomme les produits allemands. Cet accord durera jusqu’en
1939.
Il ne peut y avoir aucun doute sur l’ampleur du génocide nazi. Entre la «
Shoah par balles » menée par les Einzatzgruppen et les camps
d’extermination, il y a bien eu 6 000 000 de juifs exterminés. Quand
Nétanyahou déclare qu’Hitler ne voulait pas tuer les Juifs et que c’est
le grand Mufti de Jérusalem qui lui a soufflé l’idée, c’est une
déclaration révisionniste (même si effectivement le mufti a été un
collabo).
Il y a eu, dans l’Europe occupée une résistance juive, mais elle a été
essentiellement communiste, bundiste et parfois sioniste. Quand les
dirigeants israéliens évoquent aujourd’hui la révolte du ghetto de
Varsovie, ils omettent volontairement de parler du bundiste Marek
Edelman (commandant en second de l’insurrection), resté antisioniste
jusqu’à sa mort (2009).
Les dirigeants sionistes du Yichouv, pendant l’extermination, ont
continué de privilégier la construction d’un État juif sur toute autre
considération. Pire, les révisionnistes qui avaient créé en 1937 un
groupe terroriste, l’Irgoun (dirigé par Menahem Begin), ont déclaré la
guerre à la Grande-Bretagne en 1939 quand celle-ci a fait cesser
l’immigration juive en Palestine. Issu de l’Irgoun, le groupe Stern a
continué d’assassiner des soldats britanniques jusqu’en 1944 et a même
fait des offres de collaboration aux Nazis. Ce qui n’a pas empêché son
dirigeant, Yitzhak Shamir, d’être Premier ministre d’Israël dans les
années 1980-90. Pourquoi ne dit-on jamais qu’Israël a eu un Premier
ministre collabo ?
Après la chute du nazisme, l’Europe va se débarrasser de sa
responsabilité majeure dans l’antisémitisme et le génocide sur le dos
des Palestiniens. Pour les rescapés, les puissances victorieuses n’ont
offert qu’une seule destination possible : la Palestine mandataire. Ces
rescapés vont jouer, souvent malgré eux, un rôle majeur dans la création
de l’État d’Israël. Ils seront néanmoins fort mal accueillis. Les
sionistes opposaient leur prétendue résignation face à la chambre à gaz
au courage du soldat israélien combattant les Arabes.
La Nakba et le consensus mondial pour la création d’Israël
En 1988, l’ouverture des archives israéliennes a permis de confirmer ce
que les Palestiniens avaient toujours dit : le nettoyage ethnique (Nakba
= catastrophe) était prémédité et il a été accompagné de nombreux
crimes de guerre, celui de Deir Yassin étant loin d’être un cas unique.
Environ 800 000 Palestiniens ont été chassés de chez eux. Les troupes
sionistes connaissaient parfaitement les villages palestiniens.
L’aviation et les exécutions sommaires ont joué un grand rôle. Le plan
Daleth (la lettre D en hébreu) prévoyait une expulsion totale. Ceux qui
ont pu rester sont quelque part des miraculés. La propagande sioniste
affirme régulièrement que « les Arabes sont partis d’eux-mêmes » et que
leur « armée est la plus morale du monde », ce qui est une forme de
négationnisme absolu. Elle agite régulièrement la menace que les Juifs
soient jetés à la mer. En 1948, les Palestiniens ont été jetés à la mer
par dizaines de milliers à Jaffa, Haïfa, Ashkelon, Saint-Jean d’Acre ...
La communauté internationale a une responsabilité énorme. Les deux
nouvelles super puissances, les États-Unis et l’URSS, ont permis le vote
du plan de partage de novembre 1947 à l’ONU (avec même « achat » de
quelques votes). Ce plan donnait 54 % du territoire au futur État juif
alors que ceux-ci ne formaient qu’un tiers de la population. Aussitôt,
la guerre éclate. L’embargo sur les armes fonctionne mais pas pour
Israël qui recevra des armes, notamment venues des pays « communistes ».
Dans le futur État juif, il y avait 400 000 Palestiniens. La
quasi-totalité d’entre eux seront expulsés avant l’entrée en guerre des
pays arabes voisins.
Dans cette deuxième phase de la guerre qui commence le 15 mai 1948, le
déséquilibre des forces est clair, d’autant que chaque pays arabe se bat
pour ses propres intérêts. Quand il y a l’armistice, les sionistes ont
conquis 78 % de la Palestine, mais il n’y aura pas d’État palestinien,
la Jordanie et l’Égypte annexant ce qui n’a pas été conquis.
L’ONU vote fin 1948 la résolution 194 exigeant le retour des réfugiés
palestiniens. Que fait Israël ? Le nouvel État interdit ce retour. Il
entreprend la destruction systématique des villages palestiniens,
s’empare des terres et efface les noms arabes des lieux. Israël est
pourtant admis à l’ONU avec la mention « qu’il respecte le droit
international ».
Les destructions de villages et les expulsions se poursuivront pendant
des années. Les « Arabes » qui ont échappé à l’expulsion vivront sous
couvre-feu jusqu’en 1966.
Les sionistes s’insurgent régulièrement en disant que la « légitimité »
d’Israël est indiscutable. La Nakba n’est pas et ne sera jamais
légitime.
L’antisémitisme après la deuxième guerre mondiale
La défaite du troisième Reich n’a pas signifié celle des idées brunes.
L’antisémitisme n’a pas disparu. Il réapparaît vite dans les pays de
l’Est où, à chaque purge dans les années 1950, ce sont les dirigeants
juifs qui sont éliminés en premier, accusés de « cosmopolitisme » ou de «
sionisme ». Dès lors, les Juifs d’Europe orientale, qui avaient cru au
communisme, aspireront à partir et ils le feront dès que ce sera
possible. Ce sera massif à la chute de l’URSS.
En France, les nostalgiques du régime de Vichy relèveront vite la tête
et des journaux ouvertement antisémites représenteront cette extrême
droite : Rivarol, Minute. Le mouvement poujadiste aura aussi des relents
antisémites. Mais curieusement, va aussi apparaître un antisémitisme «
de gauche », voire « d’extrême gauche ». C’est Paul Rassinier, ancien
déporté à Buchenwald, député SFIO puis libertaire qui lancera ce courant
en mettant en doute l’existence de la solution finale. Ce révisionnisme
sera alimenté plus tard par une librairie du quartier latin,
anciennement d’extrême gauche : la Vieille Taupe.
La propagande sioniste affirme aujourd’hui que les violences contre les
Juifs en France viennent des « quartiers » (« perdus de la république »
pour reprendre les termes utilisés) et des musulmans. Avant
l’importation d’un terrorisme lié à Al Qaida ou à l’État islamique, les
manifestations antisémites en France ont essentiellement été liées à
l’extrême droite (cimetière de Carpentras, déclarations de Le Pen sur le
point de détail de l’histoire …). Aujourd’hui, Soral et Dieudonné font
un très sale boulot en reprenant le thème « juif = sioniste ». Il y a
urgence à démonter cet essentialisme meurtrier qui alimente toutes les
formes de racisme et de complotisme.
En Israël, les vainqueurs de la guerre de 1948 se retrouvent dans un
pays sous-peuplé et sans prolétariat. Tout va être utilisé pour vider le
monde arabo-musulman de ses Juifs misrahim (orientaux) ou séfarades
(descendants des Juifs chassés d’Espagne). Il n’y avait pas de tradition
de violences antijuives dans ces pays. Des bombes font sauter plusieurs
synagogues à Bagdad vers 1950 et la grande majorité des Juifs irakiens
partent en Israël. En 2003, un ancien agent du Mossad (Ben Porat)
confirme ce que les historiens savaient : l’origine israélienne de ces
attentats. Au Yémen, les Juifs étaient des Arabes judaïsés il y a plus
de 2 000 ans. Selon leurs croyances, le Messie viendrait les chercher
sur ses ailes. Les sionistes sont venus en avion et la communauté a
disparu. Au Maroc où 5 % de la population était juive, le sultan s’était
opposé à ce que les Juifs portent l’étoile jaune malgré les ordres du
régime de Vichy. Une campagne intensive de propagande de l’Agence Juive
va vider le Maroc de ses Juifs. Dans plusieurs villes ou villages, il y a
aura des manifestations pour qu’ils ne partent pas. En Égypte, en Syrie
ou au Liban, les guerres menées par Israël n’ont laissé aucune chance
pour que les communautés juives restent. Ces Juifs orientaux connaîtront
vite un autre aspect du sionisme : le racisme et les discriminations à
l’intérieur de la société juive israélienne. Et l’obligation de se
débarrasser de leur « arabité ». La situation sera encore pire pour les
Falachas (Juifs éthiopiens) qui sont noirs.
Il faut donc comprendre que le projet principal du sionisme n’est pas de
protéger les Juifs contre l’antisémitisme. Il est de les faire partir
en Israël. En ce sens, antisémites et sionistes partagent le même projet
de séparation. Chaque acte d’antisémitisme, n’importe où sur la
planète, a provoqué une nouvelle vague d’émigration. L’antisémitisme
n’est pas seulement criminel , comme toutes les autres formes de racisme
: les antisémites qui se disent pro palestiniens commettent des actes
qui favorisent la colonisation sioniste. Ça a été le cas quand
Ahmadinejad a organisé une « conférence sur l’holocauste » à Téhéran
avec le ban et l’arrière ban de tous les négationnistes.
Aujourd’hui, les dirigeants israéliens n’ont plus aucun complexe à
s’afficher avec tout ce que le monde compte de racistes et de fascistes :
Trump et ses Chrétiens sionistes, Bolsonaro, Salvini, Orban qui
réhabilite le régime du Maréchal Horthy, responsable de l’extermination
des Juifs hongrois, les dirigeants polonais qui interdisent par la loi
qu’on rappelle la complicité de certains Polonais pendant le génocide,
le parti néo-nazi autrichien qui compte six ministres, les partis baltes
qui organisent régulièrement des défilés d’anciens des Waffen SS …
Cette extrême droite reprend la tradition historique des années 1900 où
les dirigeants européens antisémites approuvaient ces sionistes qui
allaient les débarrasser de leurs Juifs et conquérir le Proche-Orient.
C’est avec ces gens-là que Macron et d’autres dirigeants occidentaux confondent sciemment antisionisme et antisémitisme.
De « l’État juif » à l’apartheid décomplexé.
Les sionistes disent qu’Israël est un État juif et démocratique. Et que c’est la seule démocratie du Proche-Orient.
Juif et démocratique, c’est un oxymore. Dans un État juif, la terre est
juive. Les Juifs en possédaient 8 % à la veille de la guerre de 1948,
ils en auront 92 % après et 97 % aujourd’hui (dans les frontières
d’avant 1967). Sur la carte d’identité, pour les non Juifs, est apposée
la mention « musulman », « chrétien », « druze », « bédouin » mais
surtout pas palestinien. L’ancienne dirigeante Golda Meir avait expliqué
que les Palestiniens, ça n’existe pas.
C’est la définition religieuse qui sera adoptée pour savoir qui est
juif/ve. On est juif parce qu’on a une ascendance juive du côté de la
mère, ou parce qu’on s’est converti. Une application très souple
permettra à des centaines de milliers de soviétiques qui n’ont pas
grand-chose à voir avec le judaïsme de partir et parfois de devenir
colons.
Les non Juifs qu’il serait plus exact d’appeler les Palestiniens de 1948
subissent le plus légalement du monde toute une série de
discriminations à l’emploi (la plupart des métiers de l’énergie, de la
sécurité, des transports et en général de la fonction publique leur sont
interdits), au logement. Alors que le taux de pauvreté est de l’ordre
de 10-15 % chez les Juifs israéliens, il dépasse largement les 50 % chez
les Palestiniens d’Israël.
Ceux-ci ont subi le massacre de Kafr Qassem (49 paysans tués en 1956
parce que l’heure du couvre-feu avait changé sans que cela leur soit
dit). En 1976, une révolte générale a éclaté contre le vol des terres en
Galilée. Cet événement est commémoré par la journée de la terre.
Quant à la « seule démocratie du Proche-Orient », on se retrouve depuis
1967 dans la situation suivante. Entre Méditerranée et Jourdain, il y a
50 % de Juifs israéliens et 50 % de Palestiniens. Ce qui permet la
domination absolue des premiers sur les seconds, c’est la fragmentation
voulue de la Palestine : Cisjordanie, elle-même balkanisée en trois
zones aux statuts différents et mangée par la colonisation,
Jérusalem-Est où les Palestiniens ont un sous-statut de « résident »
qu’on essaie de leur enlever, Gaza, véritable cage où deux millions de
personnes sont retirées du monde. Il faudrait ajouter à tout cela les
prisonniers (40 % de la population masculine a connu la prison depuis
1967) et les réfugiés. S’il y avait démocratie avec droit de vote pour
tou.te.s, ce système de colonisation et d’apartheid serait impossible.
Quand on critique radicalement l’idéologie sioniste, on entend souvent
l’objection suivante : le sionisme a créé l’État d’Israël. Maintenant
qu’il existe, c’est de l’histoire ancienne. Erreur absolue. On ne
comprend pas le rouleau compresseur colonial actuel, le racisme débridé,
le développement des idées suprématistes et le rapprochement avec
l’extrême droite si on ne comprend pas que le projet sioniste est plus
que jamais à l’œuvre.
Les deux grands courants du sionisme se sont partagé le travail depuis
1948. Les travaillistes étaient aux commandes lors de la Nakba, de
l’arrivée des Juifs orientaux ou de l’expédition impérialiste de 1956.
Le travail des historiens a modifié ce qu’on sait sur la guerre de 1967.
Israël n’était pas menacé d’anéantissement. Le projet israélien de
conquête de toute la Palestine historique existait depuis des années,
Ben Gourion avait dit dès 1948 qu’il « faudrait finir le travail ».
Sitôt cette conquête réalisée, c’est un ministre travailliste, Yigal
Allon qui a conçu les plans de colonisation et annexé Jérusalem Est.
Comme les travaillistes ne disposaient pas de militants prêts à partir
coloniser la Cisjordanie, ils se sont adressés au seul courant religieux
sioniste (minoritaire chez les religieux à l’époque), les disciples du
rabbin Kook. Le ralliement des religieux à la colonisation a été un
point de départ de la fascisation du pays, en tout cas du fait que les
droits et même la vie des nouveaux dominés n’avaient aucune importance.
Puisque Dieu a donné cette terre au peuple juif, puisqu’on refait ce qui
est décrit dans le livre de Josué, pourquoi se gêner ?
Les descendants idéologiques de Jabotinsky (Begin puis Shamir) qui
arrivent au pouvoir en 1977 sont déjà idéologiquement majoritaires. Ils
ont l’appui des religieux et des Juifs orientaux qui pensent se venger
ainsi des discriminations qu’ils subissent. Au moment de Sabra et
Chatila (1982), les milliers de manifestants qui ont protesté en Israël
ont donné le mince espoir qu’Israël devienne un État normal, acceptant
de vivre avec ses voisins. La société israélienne hésitera. Répression
féroce de la première Intifada puis signature des accords d’Oslo.
Certains ont voulu croire à cette époque qu’il existait un sionisme à
visage humain incarné par Rabin. Quand on examine de près les accords
d’Oslo, la seule chose réelle qui a été signée, c’est l’obligation pour
l’occupé d’assurer la « coopération sécuritaire » au profit de
l’occupant. Dans les 26 mois qui séparent Oslo de l’assassinat de Rabin,
celui-ci installe 60 000 nouveaux colons. De quelle paix s’agissait-il ?
25 ans se sont écoulés. Plus personne ne peut ignorer l’apartheid. Pour
ceux qui doutent de ce mot, je conseille une visite à Hébron, où tous
les jours, quelques centaines de colons fous de Dieu caillassent les
enfants palestiniens qui vont à l’école et déversent leurs ordures dans
la rue palestinienne sous la protection de 2 000 soldats. Le projet
initial du sionisme, transformer les Palestiniens, comme cela s’est fait
pour les Amérindiens ou les Aborigènes, en population enfermée dans sa
réserve, rendue incapable de réclamer ses droits, est à l’œuvre.
L’instrumentalisation de l’antisémitisme ou comment faire accepter l’ethnocide en cours.
On est donc aujourd’hui dans une situation absurde, où un État raciste
veut faire taire les critiques au nom de l’anti-racisme. Le sionisme a
installé au Proche-Orient un morceau d’Occident qui concentre, même s’il
n’en a pas le monopole, le racisme, l’apartheid, le militarisme, le
suprématisme et les technologies de pointe de répression. Comment
empêcher que cela ne soulève partout dans le monde une vague de
protestation, à l’image de celle qui a fini par se déclencher comme les
tenants de l’apartheid en Afrique du Sud ?
Ils ont trouvé sans peine. Comme le dit sans honte Macron, « l’antisionisme est l’une des formes modernes de l’antisémitisme ».
C’est le dirigeant du CRIF, ancien membre du Bétar (une milice violente
d’extrême droite), qui lui a soufflé cette idée lumineuse.
Il faut dire qu’une telle affirmation est une obscénité. La mémoire des
révolutionnaires juifs, des résistants, du ghetto de Varsovie, d’Abraham
Serfaty et de bien d’autres est confisquée par des racistes d’extrême
droite qui poussent jusqu’à la caricature la ressemblance idéologique
avec les bourreaux d’hier.
L’Europe se débarrasse de sa responsabilité dans l’antisémitisme et le génocide nazi en adoubant des suprématistes.
Bien sûr, l’antisémitisme demeure. En France, il a tué. Merah,
l’hypermarché casher … Il n’est pas la seule forme de racisme meurtrier.
Les Arabes, les Roms, les Noirs subissent régulièrement
discriminations, humiliations, assassinats et violences policières. Les
médias s’en préoccupent moins.
Finkielkraut peut reprendre les pires stéréotypes antisémites contre les
Noirs et les habitants des quartiers (« ils n’aiment pas la France »),
les médias ne parleront que d’antisémitisme quand il est insulté. De lui
on dira juste qu’il est « controversé ».
Pour l’antisémitisme, s’est ajoutée à la traditionnelle détestation du Juif par l’extrême droite, la confusion systématique et voulue entre juif et sioniste.
Les antisémites qui s’en prennent aux Juifs en prétendant défendre la
Palestine ne sont pas seulement « immoraux », ils rendent le plus grand
service à ce qu’ils prétendent combattre.
Plus que jamais, combattre le sionisme qui est une idéologie criminelle
contre les Palestiniens et suicidaire pour les Juifs, est une nécessité.
Être antisémite a été, est et sera toujours un crime.
Pierre Stambul article tiré du Monde Libertaire